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Année 2011



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     C’est un samedi pluvieux de février. Il est 9 heures et nous avons quelques centimes à dépenser alors on prend une décision de groupe, celle d’aller à ED. Je suis accompagné de mon frère et d’un ami d’origine arabe plutôt bien intégré qui est la cause de notre présence. En effet, il n’habite pas Lons-le-Saunier et se voit donc obligé de rester des journées dans le centre-ville, seul, quand mon frère et moi ne sommes pas là.

Décidés, on rentre par le parking. Une dizaine de voitures seulement sont stationnées dont la moitié au personnel. On entend à notre gauche un sifflement, on tourne le regard et on perçoit un homme, vêtu de baskets Nike trouées d’où ressortent ses chaussettes, un pantalon qui a survécu, un blouson avec les poches déchirées emplis de… je ne sais quoi. Une moustache a pris place sur son visage, faisant ressortir son caractère primaire. Enfin, il porte un bonnet bleu foncé en discordance avec ses vêtements. Mais qui donc aurait pu le juger sur son apparence physique ?

Il est mi-corps dans une benne à ordures où tous les aliments périmés sont jetés. Il fait un geste de la main qui est plutôt persuasif. N’importe quel passant peut croire qu’on est complice avec cet homme. Ne trouvant point d’alternative pour y échapper, on se dirige contre notre gré près de la benne, il demande à ce qu’on tienne son sac, notre ami arabe s’en charge. Il ramasse plusieurs boîtes de viandes où je peux lire la date de péremption. Elle datait de trois mois. Il trouve des crevettes .

« Ça, c’est pour mon chat ! »

On fait un signe de la tête pour approuver.

Après quelques minutes, il sort de la benne assez facilement : il a l’habitude. Il fait signe en direction de la porte d’ED, voulant dire : « Alors allons-y ! ». Une fois rentré, on prend volontairement le chemin opposé. On tente de trouver une boîte de biscuits pouvant combler nos désirs financiers, ce fut une sous-marque de Finger.

On se dirige en direction des caisses ; Je m’aperçois qu’une forte dame seulement nous sépare de l’homme à la benne. Je donne un petit coup de coude futile à mon frère qui répète de suite le geste à notre camarade. La femme devant nous, aimant profiter des réductions à en juger par son caddie et son poids, prend une initiative digne de la place qu’elle tient: c’est rare de nos jours. Elle est très perspicace : elle a remarqué qu’on avait un seul article donc que nous allions attendre longtemps pour peu de choses, alors elle entame une discussion :

«Passez ! »

Et on la remercie chacun à notre tour en passant devant elle.

Nous sommes à présent derrière l’homme à la benne, Il nous fait un clin d’œil, suivi d’un regard en direction de son biceps gauche plus gonflé que l’autre, par présence d’une bouteille de bière volée dissimulée sous son blouson. Il pose sa deuxième bouteille sur le tapis roulant.

« Un euro cinq», dit la vendeuse.

L’homme sort sa pièce, nous regarde en souriant puis fixe la vendeuse :

- C’est pas remboursé par la Sécurité Sociale !

La caissière grimace. L’homme, satisfait, prend sa bouteille et sort du magasin. Aigrie par son expérience, elle se venge et nous demande de vider nos poches, trouvant louche d’être trois pour acheter une misérable boîte de biscuits. Puis nous sortons à notre tour. Dehors, le voleur nous attend. Il tend la main à celui qu’il préfère, notre ami d’origine arabe.

« Je suis connu partout, tout le monde sait qui je suis, je m’appelle…»

Grand silence désagréable, tout le monde en profite pour chercher qui peut-il bien être. En voyant qu’avant ce jour, nous ignorions parfaitement son existence, il enlève majestueusement son bonnet, passe sa main dans ses cheveux et fait un geste orgueilleux de la tête, puis continue sa phrase :

« Michel… Mais on m’appelle Miguel de la Muerte. Ne faites jamais les mêmes erreurs que moi… J’ai tué un homme quand j’avais 20 ans… Légitime défense. »

Il nous regarde fixement, il attend de nous une réaction, alors notre ami prend la parole :

« C’est ce qu’il faut ! »

A l’accoutumée, il parle peu. En fait sa vie se résume à peu de choses : il est mauvais étudiant en Fac de psycho à Besançon, conduit une vieille Punto blanche et a un colocataire douteux.

Une jeune fille de dix ans et sa mère se dirigent vers l’entrée du magasin. Michel suit la jeune fille des yeux :

« Trop jeune ! »

Puis il remonte la manche de son blouson, enlève de sa bouche la cigarette qu’il a roulé peu auparavant et l’écrase sur son bras couvert de cicatrices désordonnées. Il n’éprouve aucune douleur. Pour ma part, j’ai poussé intérieurement un cri. Il nous explique par la suite que la police a dressé un plan de haute importance pour le surveiller : Le plan Epervier. L’explication est gestuelle, il lève son bras et fait un cercle avec son index. Une femme, la cinquantaine, passe dans son dos :

« Trop vieille ! »

Puis il met la main dans sa poche, essaye d’attraper un objet qui flotte à l’intérieur et le retire brusquement. Il tient un portable, l’ouvre. Nous ne tardons pas à comprendre qu’il veut nous faire écouter la nouvelle musique qu’il a téléchargée : on entend un imam diriger une prière puis des tirs d’armes à feux et, après un court silence, La Marseillaise.

« Alors ? » demande Michel, toujours à notre ami d’origine arabe.

Il répond sans trop se fouler :

«C’est ce qu’il faut ! »

Il a de la chance de ressembler physiquement à un Européen, ce qui lui permet d’éviter dans cette situation les désagréments d’un tueur raciste surnommé Miguel de la Muerte.

Michel pose la main sur la veste de notre ami, il retire un poil de chat :

« T’as un chat ! Il est blanc ! »

On se regarde tous et à travers une communication instinctive, décidons de jouer la surprise. Il reprend son téléphone et nous montre une photo de ses chiots. Il les dresse à l’attaque. Il manque d’argent pour faire opérer un de ses chiens qui est malade mais son frère accepte de payer, d’ailleurs c’est lui qui paye son forfait de portable NRJ Mobile. Puis, comme si cela passait après, il nous montre une deuxième photo, celle de son fils qui doit avoir deux ans. Je suis tellement effaré qu’il ait un chérubin que j’oublie de suite à quoi il ressemble. II ne nous parle pas de sa femme, il l’a peut-être tuée. Mais il nous parle de son enfance : il était dans notre lycée jusqu’en quatrième, ce fut sa dernière année.

Cela fait maintenant une heure et quart qu’on est avec Michel, et cette discussion burlesque risque de s’éterniser encore longtemps alors je sors discrètement mon portable et appelle mon frère. Voyant mon nom sur le cadran, il comprend le subterfuge et simule une conversation:

« Ah ! D’accord, eh ben j’arrive ! »

Puis raccroche.

« Je suis désolé, mais je dois vraiment y aller ! ».

Michel, peiné, reprend la parole :

« Je vais vous laisser ! Faut que j’aille à Passerelle 39 pour mes problèmes d’alcool. Ne faites jamais les mêmes erreurs que moi ! »

Il s’approche de notre ami, lui serre fortement la main, lui fait une accolade et murmure assez fort pour qu’on entende :

« Toi et moi, on est frères de sang ! »

Notre ami se sent obligé de répondre :

-C’est ce qu’il faut !

Puis chacun reprend sa route.

 
 

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