BreakingHeart

Nouvelles

Nouvelles

Année 2011

        I- Belote

      A paris, je vis chez une amie. Elle est blonde lune, elle est belle et même quand elle est moche, elle est belle ; Morgane attire l’œil comme Eastwood à l’écran.

      Elle m’emmène un jour dans la planque, un squatte appelé “millième dimension”. Sur les murs sont tagués -entre des citations de Bukowski-, les lois du lieu. Le lieu c’est au premier étage, un resto vietnamien vide, au second étage un appartement et au troisième un autre appartement. Sur le parquet, un pigeon est décapité. Il est marqué: “le lieutenant pigeon a tenté d’imposer une autre loi et il en est mort”. Le vrai problème selon Eric, c’est juste que ce pigeon fût un peu trop bling bling…

     Morgane est sortie seulement avec deux mecs, un l’année dernière et un cette année. Elle n’aime pas ça, elle préfère être libre. Elle ne me parle pas de ça, c’est Eric qui me l’a dit en préparant les cartes.

    “Tu clopes ? … Je connais bien morgane, elle a dépucelé tous mes amis d’enfance.”

     Cette jeune fille est décidément de coutumes peu vertueuses… Au squat, ils sont une quinzaine, et c’est souvent belotte et rebelote. Et en silence, faut profiter du plaisir. Ils jouent car la planque n’est pas le lieu de discussions philosophiques, ni de commérages où juste pendant la préparation. 

     Sous la chaleur du moi d’août, les jours de belotte s’enchainent, Morgane et ses amis jouent et moi je les regarde, surtout elle. 

     Le jour suivant Eric proposa pendant la préparation -pour lutter contre la lassitude- des récompenses au gagnant de la belotte. Le premier jour, le prix de la récompense n’atteignait pas la valeur d’une brique de la millième dimension. Le deuxième jour, chacun posa sur la table la valeur d’une journée de travail d’un maçon. Mais le millième jour, ils mirent en jeu des objets de valeurs inestimables: voiture, appart… Et ce fut le tour de Morgane:

    “Le gagnant pourra faire ce qu’il veut de moi ici présent.”

    Toute l’assemblée acquiesça, et sur les visages des pêcheurs de moules parisien, naissaient des sourires narquois. Moi j’étais… indigné, j’aimais bien Morgane. 

    “Arrête, et prends ça comme une expérience sociologique”. Me dit-elle.

    J’étais en colère parce que j’avais peur comme la plupart du temps quand on est en colère. J’étais de la millième dimension depuis belle lurette, j’avais le droit de jouer mais je n’avais aucun objet de valeur. Cela étant Morgane avait réussi à leurrer la bande même si selon Eric “c’est le système qui veut ça”. Il me savait proche de Morgane, j’ai donc proposé de prendre mes valises et de ne plus jamais la revoir si je perdais. 

     Eric gagna… :

     ”Ce que je veux ? Et bien… la guillotiner comme ce vulgaire pigeon, c’est le système qui veut ça ! En attendant, toi, t’as pommé tu te casses !” Me dit-il en me montrant du doigt la sortie. Morgane sourit, j’avais les larmes aux yeux. 

    J’avais de nouveau peur, peur de la perdre, et la colère revint. Mes deux mains crispées se propulsèrent d’un côté puis de l’autre du visage d’Eric. J’avais conscience que la quinzaine réagirait de suite, il fallait les bluffer de nouveau ! 

    “Eric a tenté d’imposer une autre loi, et il en est mort !”

    Morgane me fixa, j’étais le nouveau gagnant.

Nouvelles

Année 2011

      Vacances panache

 

     J’aiguise mes doigts sur le tactile: “J’arrive”. En Clio grise, j’ai l’air dans les oreilles, l’air de Summer in the city. Je prends C. devant chez elle, elle attend place vide Bichat, -celle avec la statue dénudée-. En route pour Château-Chalon, une demi-heure, qu’on passe parfois à causer des vacances et de l’Egypte, elle part demain. Le silence et l’air pensif avec la beauté du corps habituelle  qu’on certaine personne quand elles ne font rien.                                              

     A 5 km de Château Chalon, une longue, très longue pente en zig zag avec  un paysage magnifique, des vignes par milliers, des arbres et un contraste de bleus à l’horizon. On contemple  -depuis la troposphère- l’ensemble de la contrée.

     “C’est chouette !”

     - Ouais, c’est frais…

     J’avais une impression de liqueur mais elle à raison, fruit de la passion ça marche aussi. Forget the Song dans les tympans, on roule au pas puis:

     “Là !”

     On s’arrête plus loin, puis clic clac, soleil dans la figure et poignées de main. Deux personnes au loin, un tout juste majeur et une armoire dans la trentaine.

     “Je me suis brulée les lèvres !” Dit-elle après une courte présentation.

     - Moi, ce que je fais, c’est que j’utilise un bouchon, ou un chewing-gum, t’as l’air con, mais au moins tu ne te brûles pas les lèvres.

     Raconte le grand gaillard assis à l’arrière de sa camionnette de réparation: Réseau et communication, jeans campagnard, tee-shirt XXL uni rouge et casquette bleu. Il me scanne de haut en bas alors je glisse un sourire. Il doit bien me sentir parce que je sens naître une certaine complicité entre nous.

     ”J’ai un pote, il a un 7 mm toujours sur lui ! Me narre-t-il. Dès fois on va tirer dans les champs, à balles à blanc, hein. L’autre jour, il y a des mecs qui se sont ramenés, ils nous ont demandé si on avait un permis. Oui oui bien sûr ! Mais le truc c’est qu’on n’a pas le droit de tirer n’importe où, faut aller dans les centres de tire quoi.” Se confesse-t-il sans pitié.

     Le petit nous propose d’aller boire un verre chez lui. C. est partante, le gaillard aussi, alors je suis. C’est une grande maison de campagne ancienne, avec des chats et de l’odeur.  Dans le salon de belles plantes d’héroïnes que maman arrose.

     “C’est ma p’tite nouvelle ! C’est mon passe-temps tu vois, je la bouge, soleil, pas soleil, je l’arrose. Le terreau est un peu pourri mais sinon elle est géniale. “

     J’ai toujours le sourire, celui de la boulangère. Le gaillard, il aime bien les préliminaires mais faut pas abuser nous fait-il savoir par un “on règle les affaires !” Elle hoche de la tête et sort une petite liasse de billets, 100 euros.

     “Ah j’oubliais tient, le prix de l’essence !” Me dit-elle en me passant 20 euros. Je ne discute pas affaire alors je prends le billet et le glisse dans la poche arrière.

     “Je l’ai pas là mais je te la passe demain sur Lons, il y a pas de problème !” Dit le gaillard.

     - J’suis pas la demain.

     - Je le passe à ton pote.

     Je réalise qu’il parle de moi…

     “Mon surnom est Alex, alors tu m’appelles Alex moi j’t’appelle collègue… Silence totale sur tout ça !”

     Je me retrouve le lendemain -en retard- à courir sous la chaleur jusqu’au parking du mac Drive. Camionnette Réseau et communication au rendez-vous, la fenêtre s’ouvre. Je le reconnais à la casquette. Il me serre la main ; je mets du temps à comprendre qu’il veut me donner en même temps de l’argent, celui de C. Je ne fais tomber aucun billets mais c’est la poignée de main la plus longue et louche de tout le parking du Mac Drive.

     “Rupture de stock, ça cutter, mais en début de semaine, il y a pas de problème, il y aura de la nouvelle, ça sera de la panache !”

     Elle part en Egypte C. et moi chez moi, Mollusk dans la tête.

 

 

Nouvelles

Année 2011



http://breakingheart.cowblog.fr/images/Ed2.jpg

     C’est un samedi pluvieux de février. Il est 9 heures et nous avons quelques centimes à dépenser alors on prend une décision de groupe, celle d’aller à ED. Je suis accompagné de mon frère et d’un ami d’origine arabe plutôt bien intégré qui est la cause de notre présence. En effet, il n’habite pas Lons-le-Saunier et se voit donc obligé de rester des journées dans le centre-ville, seul, quand mon frère et moi ne sommes pas là.

Décidés, on rentre par le parking. Une dizaine de voitures seulement sont stationnées dont la moitié au personnel. On entend à notre gauche un sifflement, on tourne le regard et on perçoit un homme, vêtu de baskets Nike trouées d’où ressortent ses chaussettes, un pantalon qui a survécu, un blouson avec les poches déchirées emplis de… je ne sais quoi. Une moustache a pris place sur son visage, faisant ressortir son caractère primaire. Enfin, il porte un bonnet bleu foncé en discordance avec ses vêtements. Mais qui donc aurait pu le juger sur son apparence physique ?

Il est mi-corps dans une benne à ordures où tous les aliments périmés sont jetés. Il fait un geste de la main qui est plutôt persuasif. N’importe quel passant peut croire qu’on est complice avec cet homme. Ne trouvant point d’alternative pour y échapper, on se dirige contre notre gré près de la benne, il demande à ce qu’on tienne son sac, notre ami arabe s’en charge. Il ramasse plusieurs boîtes de viandes où je peux lire la date de péremption. Elle datait de trois mois. Il trouve des crevettes .

« Ça, c’est pour mon chat ! »

On fait un signe de la tête pour approuver.

Après quelques minutes, il sort de la benne assez facilement : il a l’habitude. Il fait signe en direction de la porte d’ED, voulant dire : « Alors allons-y ! ». Une fois rentré, on prend volontairement le chemin opposé. On tente de trouver une boîte de biscuits pouvant combler nos désirs financiers, ce fut une sous-marque de Finger.

On se dirige en direction des caisses ; Je m’aperçois qu’une forte dame seulement nous sépare de l’homme à la benne. Je donne un petit coup de coude futile à mon frère qui répète de suite le geste à notre camarade. La femme devant nous, aimant profiter des réductions à en juger par son caddie et son poids, prend une initiative digne de la place qu’elle tient: c’est rare de nos jours. Elle est très perspicace : elle a remarqué qu’on avait un seul article donc que nous allions attendre longtemps pour peu de choses, alors elle entame une discussion :

«Passez ! »

Et on la remercie chacun à notre tour en passant devant elle.

Nous sommes à présent derrière l’homme à la benne, Il nous fait un clin d’œil, suivi d’un regard en direction de son biceps gauche plus gonflé que l’autre, par présence d’une bouteille de bière volée dissimulée sous son blouson. Il pose sa deuxième bouteille sur le tapis roulant.

« Un euro cinq», dit la vendeuse.

L’homme sort sa pièce, nous regarde en souriant puis fixe la vendeuse :

- C’est pas remboursé par la Sécurité Sociale !

La caissière grimace. L’homme, satisfait, prend sa bouteille et sort du magasin. Aigrie par son expérience, elle se venge et nous demande de vider nos poches, trouvant louche d’être trois pour acheter une misérable boîte de biscuits. Puis nous sortons à notre tour. Dehors, le voleur nous attend. Il tend la main à celui qu’il préfère, notre ami d’origine arabe.

« Je suis connu partout, tout le monde sait qui je suis, je m’appelle…»

Grand silence désagréable, tout le monde en profite pour chercher qui peut-il bien être. En voyant qu’avant ce jour, nous ignorions parfaitement son existence, il enlève majestueusement son bonnet, passe sa main dans ses cheveux et fait un geste orgueilleux de la tête, puis continue sa phrase :

« Michel… Mais on m’appelle Miguel de la Muerte. Ne faites jamais les mêmes erreurs que moi… J’ai tué un homme quand j’avais 20 ans… Légitime défense. »

Il nous regarde fixement, il attend de nous une réaction, alors notre ami prend la parole :

« C’est ce qu’il faut ! »

A l’accoutumée, il parle peu. En fait sa vie se résume à peu de choses : il est mauvais étudiant en Fac de psycho à Besançon, conduit une vieille Punto blanche et a un colocataire douteux.

Une jeune fille de dix ans et sa mère se dirigent vers l’entrée du magasin. Michel suit la jeune fille des yeux :

« Trop jeune ! »

Puis il remonte la manche de son blouson, enlève de sa bouche la cigarette qu’il a roulé peu auparavant et l’écrase sur son bras couvert de cicatrices désordonnées. Il n’éprouve aucune douleur. Pour ma part, j’ai poussé intérieurement un cri. Il nous explique par la suite que la police a dressé un plan de haute importance pour le surveiller : Le plan Epervier. L’explication est gestuelle, il lève son bras et fait un cercle avec son index. Une femme, la cinquantaine, passe dans son dos :

« Trop vieille ! »

Puis il met la main dans sa poche, essaye d’attraper un objet qui flotte à l’intérieur et le retire brusquement. Il tient un portable, l’ouvre. Nous ne tardons pas à comprendre qu’il veut nous faire écouter la nouvelle musique qu’il a téléchargée : on entend un imam diriger une prière puis des tirs d’armes à feux et, après un court silence, La Marseillaise.

« Alors ? » demande Michel, toujours à notre ami d’origine arabe.

Il répond sans trop se fouler :

«C’est ce qu’il faut ! »

Il a de la chance de ressembler physiquement à un Européen, ce qui lui permet d’éviter dans cette situation les désagréments d’un tueur raciste surnommé Miguel de la Muerte.

Michel pose la main sur la veste de notre ami, il retire un poil de chat :

« T’as un chat ! Il est blanc ! »

On se regarde tous et à travers une communication instinctive, décidons de jouer la surprise. Il reprend son téléphone et nous montre une photo de ses chiots. Il les dresse à l’attaque. Il manque d’argent pour faire opérer un de ses chiens qui est malade mais son frère accepte de payer, d’ailleurs c’est lui qui paye son forfait de portable NRJ Mobile. Puis, comme si cela passait après, il nous montre une deuxième photo, celle de son fils qui doit avoir deux ans. Je suis tellement effaré qu’il ait un chérubin que j’oublie de suite à quoi il ressemble. II ne nous parle pas de sa femme, il l’a peut-être tuée. Mais il nous parle de son enfance : il était dans notre lycée jusqu’en quatrième, ce fut sa dernière année.

Cela fait maintenant une heure et quart qu’on est avec Michel, et cette discussion burlesque risque de s’éterniser encore longtemps alors je sors discrètement mon portable et appelle mon frère. Voyant mon nom sur le cadran, il comprend le subterfuge et simule une conversation:

« Ah ! D’accord, eh ben j’arrive ! »

Puis raccroche.

« Je suis désolé, mais je dois vraiment y aller ! ».

Michel, peiné, reprend la parole :

« Je vais vous laisser ! Faut que j’aille à Passerelle 39 pour mes problèmes d’alcool. Ne faites jamais les mêmes erreurs que moi ! »

Il s’approche de notre ami, lui serre fortement la main, lui fait une accolade et murmure assez fort pour qu’on entende :

« Toi et moi, on est frères de sang ! »

Notre ami se sent obligé de répondre :

-C’est ce qu’il faut !

Puis chacun reprend sa route.

 
 

Nouvelles

Année 2011

 
http://breakingheart.cowblog.fr/images/Courreur.jpg

Tâter de la brique.

 

      Je m’assois sur un banc et contemple le genre humain. J’ai finis de chercher. Je sais tous. Quel homme peut prétendre connaitre la véritable raison de l’existence humaine ? Moi. Un garçon court sans aucun but, en gesticulant les bras et criant tel un arriéré…  insouciant ; Moi je ne me prends plus les pieds dans le bac à sable. J’ai désormais une raison de vivre. Comment en suis-je devenu là ? J’ai visité les âmes des poètes, elles sonnaient fausses et un jour j’ai rencontré un homme de grande sagesse intérieure.  Il était si vrai, ce n’était pas des paroles vaines de sens.  C’était de la brique rouge et crasseuse, moi j’aime tâter le concret. C’est de cela qu’on a besoin pour vivre. Je l’ai rencontré par hasard.  Je marchais, je m’étais pourtant dit « il faut que je m’arrête de marcher », ça m’ennuyait de me déplacer. Je préférais m’ennuyer assis. Dans la rue à ma droite il y a un banc, celui sur lequel je suis assis en ce moment. Il est toujours à l’ombre, confortable. Il est placé à une intersection : un panorama d’immeubles et de rues encombrées. Les gens passent et ne vous voient pas.  L’endroit n’est pas joli mais d’ici je peux glousser de la condition humaine et me crasser de fumée noire. Mais j’ai continué tout droit. Je ne me suis pas arrêté. J’ai marché encore et encore. M’assoir aurait été un abandon. Je ne sais pas lequel. Un de ces objectifs idiots qu’on se lance à soit même. Jouissance. Je commençais à me sentir seul. La rue était longue et déserte, et pas photogénique pour le touriste  Chinois devant moi -qui bougeait dans tous les sens- pour trouver un angle propice à la façade d’un immeuble pourpre ;  jaune auparavant.  Les magasins fermaient tous les deux mois après leurs ouvertures, j’étais moi-même touriste à chaque venu piétonne dans cette rue. Tourné à droite n’aurait vraiment pas été un mal. La rue résonnait. Je m’étais retourné. Un homme courait. Il était assez loin mais… assez prêt tout de même pour remarquer qu’il était fort. J’avais pris, jadis, l’habitude d’utiliser cet euphémisme. Je peux maintenant dire que c’était un beau tas de graisse. Si j’avais su que cet homme allait changer ma misérable vie couronnée de vide et dénuée de sens… Quand je l’ai vu, je n’ai pu m’empêcher à un ami qui sortait seulement par temps de pluie pour seul raison que les joggers restaient chez eux attendant à la fenêtre que le ciel arrête de leurs uriner dessus. Il se rapprochait. Je me retournais toutes les cinq secondes seulement. Je ne voulais pas qu’il m’écrase. La terre trembla. Je me suis décalé sur ma gauche contre la façade d’un bureau de tabac -fermé- et j’ai plissé les yeux. Il me doubla. Puis s’arrêta. Il mit ses mains sur ces genoux et haleta. Il était assez grand ; mais bien plus gros que grand. Il avait un short noir qui moulait sa graisse, et un tee-shirt blanc mouillé. Il sua de partout. Il enleva ses lunettes et s’essuya le front avec son avant-bras suant. Il n’était pas comme les autres coureurs du dimanche. Il ne courrait pas dignement torse bombé, mais au contraire, il était ridicule ; plus que les autres. M’apercevant du coin de l’œil, il m’analysa. Il avait dû voir que j’étais faible d’esprit comme de cœur. A première vue il ressemblait à un pédophile. Les apparences sont trompeuses.  C’était un homme bien. D’ailleurs il courait, il se surpassait, en permanence contre lui-même, contre ses grosseurs. C’était humain, c’était réel : l’homme hait ses complexes. Sa carapace protégeait un esprit. Un esprit qui a changé à jamais ma vie. Il n’avait aucune raison de prononcer ces vers philosophiques. Le fond et la forme formaient un tout. C’était un poète, mais pas un de ces poètes qui codent la prose, non lui, il taquinait la langue. Il avait vécu ; pas que du bien. Il représentait les vrais sentiments : ceux que l’on aime et pourtant cache. Il dégageait une force monstrueuse semblable à de la folie : ce n’en était pas. Tout était contrôlé chez lui, ce n’était pas des mots dit aux hasards, il y avait une logique, une pensée irréfutable… J’étais immobile, la bouche ouverte. J’attendais qu’une chose se produise. Lui me regardait fixement, il était impressionnant. Il rentrait son lacet -qui n’était pas défait- dans sa basket à talon. Il remit ses lunettes, et se dressa. Mon regard était fixé sur ses lèvres : allait-il parler ? Sa langue sortit de sa bouche et humidifia ses lèvres d’un coup sabré… Il allait parler :

    « Les salopes, il faut leur rentrer dedans aux salopes, mais attention avec du plastique. » dit l’homme.

    Qui d’autre ? Qui d’autre, à ce moment précis de ma vie, aurait pu prononcer ces quelques mots triviaux à première vue, mais si humain au fond. Il ne m’avait pas dit « bonjour » ou « il fait chaud aujourd’hui, il parait que la chaleur sera pire demain », non lui m’avait donné un conseil avec condition, une raison de vivre. On est resté les deux immobiles. Je réfléchissais. Et si le sens de la vie, la lutte de l’humain, c’était cela. Il continua son chemin. Je suis toujours sur mon banc. J’ai cette force. Mon vide a basculé. J’attends mon tour pour tâter de la brique.

 

 

 

<< Page précédente | 1 | Page suivante >>

Créer un podcast